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Monjangaia

Monjangaia

C'est un blog d'informations et d'analyses sur l'actualité internationale en général, et, malgache, en particulier.

Publié le par Eddy Rabe
Primature, rupture: un début de présidence bien compliqué pour Hery Rajaonarimampianina.

Les élections sont passées, Madagascar semble s'éloigner de la transition. A plus de deux mois de la prise de fonction du nouveau Président de la République, Hery Rajaonarimampianina, le spectre de la crise plane toujours sur la Grande Ile. Le pays vit sans gouvernement officiel; celui de Beriziky, le Premier ministre du gouvernement de transition, ayant déjà présenté sa démission, n'assure que les affaires courantes. La Chambre Basse, nantie de ses nouveaux élus, n'arrive pas à se composer comme une assemblée démocratique conventionnelle avec son lot de discordes et d'illogisme propres à la classe politique malgache. Toutes tendances revendiquent l'appartenance à la majorité présidentielle ou la majorité tout court. De son côté, le nouveau Chef de l'Etat ne montre pas, pour l'instant, une grande assurance et préfère temporiser pour calmer les velléités de chacun. Il faut reconnaître que l'ancien ministre des finances n'a pas hérité d'un contexte convenable dans son nouveau rôle. Empêtré entre un "Andry Rajoelina" qui l'a porté au pouvoir et sa volonté de rupture avec la transition, Hery Rajaonarimampianina dispose de peu de manoeuvres pour gouverner sereinement. Viennent s'ajouter à tout cela les pressions de la communauté internationale qui réclame un changement de gouvernance sur le fond et surtout sur la forme. La tâche du nouveau Président de la République dans ce début de mandat s'avère compliquée. Il était à prévoir qu'il n'aurait pas une partie facile durant son quinquennat pour relever le pays après les 5 ans de gabegie et de marasme de la transition; mais de là à rencontrer de telles difficultés politiques faisant ressurgir le doute sur la crise, c'était moins imaginable.

La difficulté actuelle que rencontre le nouveau pouvoir malgache réside avant tout dans la Constitution. Rappelons que, celle qui est en vigueur en ce moment et qui a instauré l'avènement de la IVème République de Madagascar, a été taillée pour un scénario qui ferait de Andry Rajoelina le Premier ministre du 1er Président élu. Cette Constitution qui stipule dans son article 54, que les partis politiques ou groupements de partis politiques légalement constitués et majoritaires au sein de l'Assemblée Nationale désignent le Premier ministre sur nomination du Président de la République, sème aujourd'hui une zizanie inédite. Pour rappel, cette loi fondamentale a été adoptée à l'issue d'un simulacre de référendum en 2010. A cette époque, Andry Rajoelina, alors président de la transition, avait annoncé qu'il ne serait pas candidat à l'élection présidentielle. D'aucuns pressentaient ainsi un schéma politique à la "Poutine-Medvedev" à la tête de l'exécutif: Andry Rajoelina serait le Premier ministre aux pleins pouvoirs avec une large majorité de parlementaires acquis à sa cause et un Président de la République qui lui serait dévoué et reconnaissant. De l'eau a coulé sous les ponts depuis et aujourd'hui, effectivement, après avoir été écarté à la course à la présidentielle, le scénario rêvé par l'ancien Président de la transition s'est produit. Hery Rajaonarimampianina est élu président avec l'appui du pouvoir transitoire, et le MAPAR (Miaraka Amin'ny Prezidà Andry Rajoelina: littéralement, tous avec Andry Rajoelina), formation politique qu'il a créée pour les législatives, est majoritaire en termes de nombre d'élus dans l'Hémicycle. On s'acheminait doucement vers la nomination de Andry Rajoelina à la Primature, ou du moins, une personnalité issue du MAPAR. Sauf que, le nouveau Chef de l'Etat se rebiffe et entend tourner définitivement la page de la transition. En clair, non seulement il a refusé en coulisses le nom de Andry Rajoelina comme Chef de gouvernement, mais il ne veut pas, non plus, nommer la personne désignée par le MAPAR, entre autres, Haja Resampa, l'ancien Secrétaire général de la Présidence de la transition; celui-ci ayant déjà occupé une haute fonction pendant la transition.

Ambigüité de l'article 54

Entretemps, devant la discorde entre le Chef de l'Etat et le MAPAR, la mouvance Ravalomanana ayant obtenu un nombre non négligeable de députés, a créé un nouveau front avec quelques députés indépendants en revendiquant la majorité présidentielle. Une initiative, qui, selon les indiscrétions, a été menée par l'entourage du Président de la République afin, tout d'abord, de faire valoir la politique d'ouverture voulue par Hery Rajaonarimampianina et appelée de ses voeux par la communauté internationale, et ensuite, de contrecarrer les velléités d'influence pressante de Andry Rajoelina et de ses élus sur le nouveau pouvoir exécutif. Depuis, les deux formations se disputent la majorité et proposent chacune au fil des jours des noms de "Premier ministrable" au Président de la République sans que celui-ci ne s'empresse de s'y plier. En effet, Hery Rajaonarimampianina applique la politique de l'usure et fait jouer le temps en avançant que l'esprit de l'article 54 de la Constitution requière une personnalité capable de travailler avec le président de la République pour appliquer sa politique et qui répond aux exigences de la réconciliation nationale. Un profil bien défini mais assez complexe s'avérant du coup rare à dénicher au sein du MAPAR. Hery Rajaonarimampianina a su tirer son épingle du jeu de l'ambigüité de ce fameux article 54. Et pas seulement en temporisant sur le temps. En coulisses, son cabinet mène des tractations pour asseoir cette véritable majorité en usant du pouvoir du chef de l'exécutif, et ça marche. Plus le temps passe, plus les chances de changement de courants politiques au sein de l'Assemblée Nationale sont importantes. Et ces changements tendent à donner raison au Chef de l'Etat car beaucoup d'élus, notamment, des indépendants ont rejoint la majorité qu'il désire voir naître. La versatilité des politiciens malgaches plus enclins à se ranger du côté du pouvoir en place ne lui a pas, non plus, compliqué la tâche.

Absence de base politique

Mais il faut le reconnaître, il n'avait pas le choix dans sa démarche. Hery Rajaonarimampianina ne dispose pas de base politique. Ni au sein de la Chambre Basse, ni au sein de l'électorat, sans compter qu'il n'a été élu que par un peu plus de 2 millions de Malgaches sur un peu moins de 8 millions d'électeurs inscrits pour un pays qui compte plus de 20 millions d'habitants. Pour échapper à l'emprise du MAPAR et de Andry Rajoelina qui l'ont fait élire mais avec qui il veut marquer une rupture, il doit s'ouvrir le plus possible à d'autres formations politiques au nom de la réconciliation nationale; d'où les difficultés qu'il rencontre pour dégager une personnalité de confiance à nommer comme Premier ministre. Car ce Premier ministre doit être pour lui, dans un premier temps, un gage de confiance pour gouverner sereinement au vu de l'absence d'une base politique solide. Il pourra par la suite compter sur les convictions politiques à "géométrie variable" de nos élus pour reconstruire petit à petit une base. La situation catastrophique dans laquelle avait été plongé Madagascar pendant ces 5 années de transition nécessite pourtant des actions fortes et rapides. On n'en est pas encore là avec ce nouveau pouvoir, plus de 2 mois après son installation. Les aides bilatérales et multilatérales ne font que des effets d'annonces. Les partenaires internationaux attendent un nouveau gouvernement avec qui réellement dialoguer et les déplacements présidentiels à l'étranger (USA, France, Bruxelles pour le sommet UE/UA) restent pour l'instant sur le stade de la reconnaissance diplomatique. Pour l'intérêt de la Nation, les protagonistes dans cette nomination doivent tous faire des concessions.

Le Président de la République inquiète

Pour Hery Rajaonarimampianina, qu'il le veuille ou pas, son élection, il la doit au MAPAR de Andry Rajoelina. Il doit composer avec, bon gré, mal gré. Sinon, qu'il affirme clairement cette rupture et en assume les conséquences. La rupture qu'il veut instaurer est louable mais affirmer une rupture ne se limite pas seulement à la nomination du Premier ministre. Beaucoup de réformes doivent impérativement être entreprises à Madagascar, donc l'occasion ne manquerait pas pour le Chef de l'Etat d'imposer sa marque. Pour le MAPAR, le temps ne joue pas en sa faveur. Ses alliances s'effritent et sa majorité s'amenuise au fil des jours; et si cette situation perdure, la formation de Andry Rajoelina pourra perdre sa légitimité de parti majoritaire. Une situation qui ferait basculer mécaniquement le MAPAR dans l'opposition. Ce que ne veulent pourtant pas admettre publiquement ses ténors. Leurs craintes reposent sur la débandade de leurs élus si jamais ils manquent de participer au gouvernement. C'est en effet la règle malheureuse non-écrite à Madagascar sur la pratique politique. Mais si tel devait être le cas, l'occasion serait donnée au MAPAR d'entrer dans l'histoire politique malgache en devant assumer ce statut d'opposition. Être dans l'opposition, c'est aussi servir son pays. Servir son pays à travers les débats démocratiques, les contre-propositions des actions de l'exécutif ou tout simplement en se constituant comme le contre-pouvoir de celui-ci. Il est d'ailleurs nécessaire de dégager une force de l'opposition au sein de la représentation nationale d'autant que l'actuelle Constitution prévoit justement ce statut de l'opposition. Ce concept démocratique novateur pour la classe politique malgache constituerait également une formidable opportunité permettant à Andry Rajoelina et consorts de préparer sereinement l'alternance lors de la prochaine présidentielle. Mais on n'en est pas encore là. En réalité, on est encore loin de ce scénario. Chaque tendance se bat encore pour être dans le pouvoir et c'est pathétique. Madagascar avait besoin d'un pouvoir fort, pétri dans l'action pour relever le pays. Ce début de quinquennat de Hery Rajaonarimampianina n'indique, pour l'instant, pas la bonne voie. Entre les couacs sur le discours plagié, une certaine forme d'amateurisme, une rupture mal assumée ou encore les difficultés sur la nomination du Premier ministre, le Président de la République inquiète. En attendant, 90% de Malgaches sombrent dans la misère.

Eddy Rabe

Hery Rajaonarimampianina, Président de la République de Madagascar et 1er Chef de l'Etat de la IVème République.

Hery Rajaonarimampianina, Président de la République de Madagascar et 1er Chef de l'Etat de la IVème République.

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